[EXPOSITION] KIN(D) RELATIONS ::: EMAP ::: MONDE•S MULTIPLE•S ::: Transpalette – Bourges

:::  KIN(D) RELATIONS  ::: 

Exposition collective – Transpalette (Antre Peaux), Bourges.

5 novembre 2022 – 30 décembre 2022

Une proposition de Julie Crenn

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::: Artistes invité.es :::
Kat Austen ::: Cécile Beau ::: Laetitia Bourget ::: Shu Lea Cheang ::: Annabel Gueredrat ::: Charlotte Jarvis ::: Paula Kaori Nishijima ::: Josèfa Ntjam ::: Margherita Pevere ::: Stefanie Schroeder & Juliane Jaschnow ::: Uh513 (María Castellanos & Alberto Valverde) ::: Liliana Zeic.

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KIN(D) RELATIONS réunit des artistes européen.nes actives et actifs dans les BioMedias, arts robotiques et digitaux, ainsi que des artistes invité.es dont les préoccupations et enjeux artistiques s’allient au propos de l’exposition : les interdépendances au sein du vivant.  

Artistes issu·es des résidences EMAP 2022 / Stefanie Schroeder & Juliane Jaschnow, Paula Kaori Nishijima, Charlotte Jarvis

Artistes issu·es des résidences EMAP précédentes / Margherita Pevere, Kat Austen, Liliana Zeic, Uh513 (María Castellanos et Alberto Valverde)

Artistes guests / Cécile Beau, Annabel Guérédrat, Josèfa Ntjam, Laëtitia Bourget, Shu Lea Cheang

La plateforme européenne des arts médiatiques (EMAP), initiée par Werkleitz et cofinancée par Creative Europe depuis 2018, est un consortium de 15 structures européennes de premier plan dans le domaine des arts médiatiques, spécialisées dans l’art numérique et médiatique, le bio-art et l’art robotique. Le consortium comprend plusieurs festivals de renom traitant de ces formes d’art interdisciplinaires. Par le biais d’un appel ouvert, les membres d’EMAP proposent aux praticien.nes des résidences de deux mois, dans le prolongement de l’European Media Artist in Residence Exchange (EMARE), qui existe depuis 1995. EMAP agit également comme un espace partagé permettant aux partenaires de sélectionner des artistes et des œuvres pour leurs propres festivals et expositions. En plus du soutien à la production pour les artistes, EMAP fournit une plateforme internationale pour promouvoir et diffuser le travail des artistes des médias.

La résidence est basée sur un échange de connaissances interculturel et interdisciplinaire entre les artistes sélectionné.es, les organisations d’accueil et divers.es expert.es des sciences, des arts et des technologies impliqué.es pour consulter, soutenir ou former les artistes. Chaque membre hôte fournit une bourse d’artiste, les frais de voyage, le budget de production, l’hébergement payé pendant la résidence et l’accès aux laboratoires et aux installations. Les événements comprennent des expositions individuelles et collectives, des conférences en ligne / hors ligne et des ateliers de renforcement des capacités pour partager les connaissances. 

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KIN(D) RELATIONS

Dans l’histoire et la pensée occidentale, les humain.es se pensent au sommet de l’organisation du vivant en tant qu’espèce supérieure aux autres, voire en tant qu’espèce  qui existe en dehors de la nature. Le dualisme fabriqué entre nature et culture a tracé des sillons séparateurs entre les terrestres. Le terme de « nature » est, depuis bien trop longtemps, une construction de la pensée moderne occidentale qui place les humain.es en position extérieure vis-à-vis du vivant. La “nature”, en tant que concept, est un territoire à exploiter, à détruire, à remodeler, à coloniser, un territoire à dominer pour l’enrichissement des plus puissant.es. Un territoire réduit à une ressource. Opposé à celui de “culture”, le concept de nature autorise la destruction, le contrôle, le pouvoir et l’organisation hiérarchisée du vivant. C’est d’ailleurs pour cela que les individus minorisés par l’hétéropatriarcat ont été relégués au territoire de la nature. Ielles ont été séparé.es de l’humanité à coups d’assignations afin d’être exploitées, violées, silenciées, objectifiées, invisibilisées au même titre que les animaux, les plantes, les sols ou les océans. “Petit à petit, l’énorme évidence m’est […] apparue qu’une société qui définissait sa dignité par opposition à une nature ne pouvait qu’entrainer ruine et désastre autour d’elle. L’idée que l’univers soit mort (fait de matière ; dénué de vie et d’esprit) est une pilier majeur de la science moderne, de son autorité et de son existence même. L’idée d’un univers vivant imposerait du reste des tas de limites éthiques à son exploration ; on ne fait pas l’autopsie d’un vivant. […] Cette idée de la nature comme univers mort fait de l’Occident une curiosité anthropologique.”(1)

Deborah Bird Rose (anthropologue)  ajoute à ce sujet : “Le dualisme nature/culture occupe une place privilégiée. La culture désigne les êtres humains tandis que la nature renvoie au reste du vivant non humain. En creusant l’écart, l’humain transcende et domine tout ce qui diffère de lui, et la séparation est d’autant plus cruciale que les animaux sont des créatures les plus proches de nous, par leurs visages, leurs formes et leurs attitudes.”(2) Ielles ont fabriqué des outils, des dogmes, des religions et des sciences pour légitimer ce que Val Plumwood (philosophe écoféministe) nomme les “hyper-séparations” entre les êtres vivants, visibles et invisibles. Ces hyper-séparations participent d’une pensée binaire, anthropocentrée et destructrice. Depuis les années 1960 jusqu’à maintenant, les pensées écologiques, écoféministes, postcoloniales, décoloniales, queer ou encore écosexuelles proposent des alternatives réjouissantes et urgentes à cette pensée monolithe. Des pensées qui réactivent la charge poétique / politique de ce qu’est la nature : “ce qui naît, ce qui pousse, ce qui engendre”(3). Ainsi, à l’anthropocène, nous avons fait le choix de nous rallier au Chtulucène (Donna Haraway) et à son concept de natureculture. L’humain, “qui est littéralement l’humus, le terreux”, n’est pas séparé du vivant. (4) Il s’agit alors de relier, de penser les relations (Edouard Glissant) qui existent entre nous toustes. De nous enlianer (Dénètem Touam Bona) pour ressentir et vivre ces liens profonds qui nous constituent et qui nous transforment en permanence. De penser le vivant comme un superorganisme qui s’est fabriqué dans un temps extrêmement long et au sein duquel tous les corps s’affectent les uns les autres.

Kin(d) Relations. Le titre de l’exposition articule la notion de kin (parenté) développée par Donna Haraway et la pensée de la Relation d’Édouard Glissant. Kin(d) Relations est ainsi pensée comme un poly-écosystème où les corps humains et non humains s’affectent mutuellement (Deborah Bird Rose). Par l’expérience des œuvres, l’exposition manifeste les manières dont nous nous affectons toustes, les interdépendances, les rhizomes et la symbiotique de nos existences visibles et invisibles. “La notion de rhizome serait au principe ce que je j’appelle une poétique de la Relation, selon laquelle toute identité s’étend dans un rapport à l’Autre. […] C’est aussi que la poétique de la Relation n’est à jamais conjecturale et ne suppose aucune fixité d’idéologie. Elle contredit aux confortables assurances liées à l’excellence supposée d’une langue. Poétique latente, ouverte, multilingue d’intention, en prise avec tout le possible. La pensée théoricienne, qui vise le fondamental et l’assise, qu’elle apparente au vrai, se dérobe devant ces sentiers incertains.”(5) Kin(d) Relations manifeste une culture de l’attention, où les humain.es ne sont pensé.es ni au centre ni au sommet d’un système. Ielles agissent au sein de leurs habitats au même titre que toutes les autres espèces et entités. Il ne s’agit pas de parler de cohabitation, mais de coexistence d’une communauté terrestre animée par des réalités multiples. 

Archipels – rhizomes – tentacules – parentés – espèces compagnes – allié.es / Ces notions aussi poétiques que politiques bouleversent les dogmes qui structurent les pensées occidentales. Elles nous invitent à “repenser ce que signifie accompagner, protéger, être en danger, ce qu’est vivre, pas seulement ce qu’est la « vie », mais ce qu’est la vulnérabilité, vivre et mourir, prendre certains types de risques pour être en compagnie de ou pour certains modes de vie plutôt que d’autres. […] Une espèce compagne n’est pas synonyme de bien ou d’harmonie. Elle n’est pas synonyme de quoi que ce soit. C’est une interrogation ; c’est une provocation à la réponse-habilité et encore plus à la capacité de réponse. Pour être en danger avec. Ainsi, dans ce sens, affirmer la relationnalité des espèces compagnes n’est pas une position traditionnellement humaine, bien qu’elle engage les capacités humaines. Je pense que la relationnalité des espèces compagnes n’est pas anti-humaine, mais elle n’est pas conventionnellement humaniste dans le sens où les êtres humains seraient la source de réponse ou de valeur.”(6)

Les œuvres présentées au Transpalette génèrent des situations d’entrelacements, d’enlianages,  de rencontres, d’interdépendances (entre les œuvres, les propositions, mais aussi entre les visiteurs et les visiteuses), d’alliances symbiotiques, de parentés réelles et spéculatives. D’une bactérie à la croûte terrestre, en passant par les odeurs, les océans, les gaz, les cellules, les fréquences, les hormones ou encore les sources lumineuses, c’est l’ensemble du vivant qui est pensé et vécu comme une communauté poreuse, empathique, protectrice, désirante, affective, plus qu’humaine pensée d’une manière écoféministe, intersectionnelle, queer et décoloniale. Une communauté terrestre que, au-delà des réalités tangibles, les artistes explorent pour en proposer aussi des projections, des fictions nourries d’une spéculation narrative (Ursula Le Guin) qui n’est pas un simple outil littéraire, mais une manière de fabriquer des possibles. Une pensée collective et jubilatoire qui nous amène à repousser les limites imprimées qui cernent et contraignent nos imaginaires. Une pensée nourrie de relations inattendues, imprévisibles et nécessaires. C’est ainsi que le rapport aux nouvelles technologies et aux sciences devient le terreau de mondes illimités et multiples. En ce sens, les entrelacements entre l’organique et le technologique génèrent des ouvertures joyeusement surprenantes au sein du réel. Ils engendrent des réalités nouvelles au sein desquelles il nous est permis d’expérimenter les dimensions invisibles et infinies de ce que Glissant nomme la totalité, cette immense communauté des vivant.es avec laquelle il nous faut apprendre à nous réconcilier.

Julie Crenn

Notes _

  1.  LANASPEZE, Baptiste.  Nature. Paris : Anamosa, 2022, p.11-12.
  2. BIRD ROSE, Deborah. Le rêve du chien sauvage. Paris : La Découverte – Les Empêcheurs de penser en rond (2011) 2020, p.80.
  3. LANASPEZE (2022).
  4. Id.
  5. GLISSANT, Edouard. Poétique de la Relation. Paris : Gallimard, 1990, p.23 & 44.
  6. DOLPHIJN, Rick. “Interview – Donna Haraway – Staying with the trouble” in Yes naturally. Rotterdam, Niet Normaal Foundation, 2013, p.109.

VUES DE L’EXPOSITION (Crédits : Margot Montigny) :::


:::  KIN(D) RELATIONS  ::: 

Exposition collective – Transpalette, Bourges.

5 novembre 2022 – 30 décembre 2022

Vernissage le 5 novembre à 18h18

Entrée libre

Ouvert du mercredi au dimanche de 15h à 19h

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RENCONTRE MONDE•S MULTIPLE•S / En savoir plus : https://mondesmultiples.antrepeaux.net/kind-relations/


ALLER PLUS LOIN :::

Bibliographie sélective :::

AFEISSA, Hicham-Stéphane. Manifeste pour une écologie de la différence. Arles : Editions Dehors, 2021.

AZAM, Geneviève. Lettre à la Terre – Et la Terre répond. Paris : Seuil, 2019.

BIRD ROSE, Deborah. Le rêve du chien sauvage. Paris : La Découverte – Les Empêcheurs de penser en rond (2011) 2020.

BONNET, Emmanuel ; LANDIVAR, Diego ; MONNIN, Alexandre. Héritage et fermeture – Une écologie du démantèlement. Paris : Editions Divergences, 2022.

BOUMEDIENE, Samir. La colonisation du savoir: Une histoire des plantes médicinales du « Nouveau monde » (1492-1750). Vaulx-en-Velin : Les Éditions des Mondes à faire, 2019.

COLLECTIF. Yes naturally. Rotterdam, Niet Normaal Foundation, 2013.

COLLECTIF. Matière finie, coopérations infinies. de(s)générations, n°34, 2021.

COLLECTIF. Ciencia Fricción – Vida entre especies compañeras. Barcelona : CCCB, 2021.

COLLECTIF. BioMedia – L’ère des médias semblables à la vie. Enghiens-les-Bains : Centre des arts d’Enghiens-les-Bains, 2022.

DESPRET, Vinciane. Fabrique des mondes habitables – Dialogue avec Frédérique Dolphijn. Noville-sur-Mehaigne : Editions esperluète, 2021.

D’EAUBONNE, Françoise. Le féminisme ou la mort. Paris : Le Passager Clandestin, 2020.

ESCOBAR, Arturo. Sentir-Penser avec la Terre – L’écologie au-delà de l’Occident. Paris : Seuil, 2018.

FERDINAND, Malcom. Une écologie décoloniale – Penser l’écologie depuis le monde caribéen. Paris : Seuil, 2019.

GLISSANT, Edouard. Poétique de la Relation. Paris : Gallimard, 1990.

GLISSANT, Edouard. Traité du Tout-monde. Paris : Gallimard, 1997.

GLOWCZEWSKI, Barbara. Réveiller les esprits de la terre. Arles : Editions Dehors, 2021.

HACHE, Émilie Hache. RECLAIM : recueil de textes écoféministes. Paris : Editions Cambourakis, 2016.

HARAWAY, Donna. Des singes, des cyborgs et des femmes. La réinvention de la nature, trad. Oristelle Bonis, préface de Sam Bourcier, Paris, Éditions Jacqueline Chambon, coll. « Rayon philo », 2009.

HARAWAY, Donna. Vivre avec le Trouble. Vaulx-en-Velin : Les Éditions des Mondes à Faire, 2020.

HARAWAY, Donna. Quand les espèces se rencontrent. Paris : La découverte, coll. Les empêcheurs de penser en rond, 2021.

HESSLER, Stéphanie. Sex Ecologies. Trondheim : Kunsthall : The Seed Box, 2021.

KINJI, Imanishi. Le Monde des êtres vivants: Une théorie écologique de l’évolution. Marseille : Wildproject, 2011.

KODJO-GRANDVAUX, Séverine. Devenir vivants. Paris : Philippe Rey, 2021.

LANASPEZE, Baptiste. Nature. Paris : Anamosa, 2022.

LARUE, Ian, 2018, Libère-toi cyborg ! Le pouvoir transformateur de la science-fiction féministe, Paris, Cambourakis.

LECERF MAULPOIX, Cy. Ecologies déviantes – Voyage en terres queers. Paris : Editions Cambourakis, 2021.

LE GUIN, Ursula K. Danser au bord du monde – mots, femmes, territoires. Paris : Editions de l’Eclat, 2020.

MARGULIS, Lynn ; SAGAN, Dorion. Microcosmos – 4 milliards d’années de symbiose terrestre. Marseille : Wildproject, 2022.

MASSUMI, Brian. Ce que les bêtes nous apprennent de la politique. Arles : Editions Dehors, 2019.

PIERRON, Jean-Philippe. Je est un nous – enquête philosophique sur nos interdépendances avec le vivant. Arles : Actes Sud, coll. Mondes Sauvages, 2021.

PLUMWOOD, Val. Réanimer la nature. Paris : PUF, 2020.

POON, Angelia ; VINCENT, Esther. Making Kin – Ecofeminist Essays from Singapore. Singapore: Ethos Books, 2021.

STARHAWK. Quel monde voulons-nous ? Paris : Editions Cambourakis, 2019.

STARHAWK. La voie de la terre – connectez votre esprit aux rythmes de la nature. Paris : Editions Véga, 2022.

STENGERS, Isabelle ; PRIGOGINE, Ilya. La nouvelle alliance – Métamorphose de la science. Paris : Gallimard, 1979.

TO NGA, Tran. Ma terre empoisonnée. Vietnam, France, mes combats. Paris : Stock, 2016.

TOUAM BONA, Dénètem. Cosmopoétique du refuge – Tome 1 : La sagesse des lianes. Paris : Post-Editions, 2021.

TSING, Anna. Le champignon de la fin du monde. Paris : La Découverte – Les Empêcheurs de penser en rond, 2017.

TSING, Anna. Frictions – Délires et faux-semblants de la globalité. Paris : La Découverte – Les Empêcheurs de penser en rond, 2020.

TSING, Anna ; STENGERS, Isabelle. Proliférations. Marseille : Wildproject, 2022.

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PRESSE :::

+ BERRY REPUBLICAIN ::: https://www.leberry.fr/bourges-18000/loisirs/des-artistes-reinterpretent-le-vivant-au-transpalette-a-bourges_14215467/

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