THIERRY VERBEKE – Pirater le réel /// P.E.Z.

Logo de la zone P.E.Z . dimensions variables

Logo de la zone P.E.Z . dimensions variables

Notre siècle est le premier sans terra incognita, sans une frontière. La nationalité est le principe suprême qui gouverne le monde – pas un récif des mers du Sud ne peut être laissé ouvert, pas une vallée lointaine, pas même la Lune et les planètes. C’est l’apothéose du «gangstérisme territorial». Pas un seul centimètre carré sur Terre qui ne soit taxé et policé… en théorie.

Hakim Bey – TAZ (1991)

 Thierry Verbeke est un artiste militant. Engagé dans le réel, il poursuit des problématiques liées au monde du travail, aux libertés et aux droits fondamentaux, à l’économie et à ce que je nommerais « le grand vent des communicants ». Il produit un art de la contestation pacifique, invitant au soulèvement (à une prise de conscience collective) plutôt qu’à la révolution. Ainsi, il fabrique des banderoles à partir de bleus d’ouvriers (Bleus de Chauffe) ; en réponse au prétendu recul du chômage en France, il se fait recruteur de chômeurs pour que l’A.N.P.E puisse rester en activité (ANPE Concept Car) ; avec l’aide de couturières, il réalise un drapeau de pirate en patchwork (United Color). L’absurdité des actions et des slogans renvoie à l’absurdité de notre système et à ses stratégies de communication. L’artiste souligne un abrutissement généralisé, orchestré par l’Etat et le marché, relayé par la publicité et les médias. Un abrutissement ayant pour objectif d’asservir le consommateur au détriment de l’éveil du citoyen. C’est en ce sens que son travail m’apparaît comme une matérialisation de la pensée du poète anarchiste Hakim Bey, et notamment de la TAZ (zone autonome temporaire).

 La TAZ est comme une insurrection sans engagement direct contre l’État, une opération de guérilla qui libère une zone (de terrain, de temps, d’imagination) puis se dissout, avant que l’État ne l’écrase, pour se reformer ailleurs dans le temps ou l’espace. Puisque l’État est davantage concerné par la Simulation que par la substance, la TAZ peut « occuper » ces zones clandestinement et poursuivre en paix relative ses objectifs festifs pendant quelque temps.

panneau de chantier, bois de charpente, impression sur PVC (3,5 X 2 X 3,5M)

PEZ OFFICE, container, palmier artificiel, bois de charpente (6X 3 X 5,5 M)

P.E.Z. / cash, pèse, oseille, flouze, fraïche 

 Sur le modèle de la TAZ, théorisée par Hakim Bey, mais aussi à partir de sources plurielles comme la micronation de la principauté de Sealand au Royaume-Uni ou encore le roman La République de Mek-Ouyes de Jacques Jouet, Thierry Verbeke imagine le P.E.Z. : Paradise Economic Zone. Un « paradis » installé sur la frontière entre la France et la Belgique, pensé comme un espace critique et politique. Le P.E.Z. recèle une double lecture. Il fait d’abord référence aux zones de non droit, aux paradis où tout est encore possible, où tout reste à inventer. En ce sens, le P.E.Z. représente un espace de liberté totale. Pourtant, il peut également être associé aux paradis fiscaux, des zones où la fiscalité nulle ou avantageuse, qui attirent les fortunes mondiales. Des zones où le profit est roi. Un rapport de l’O.C.D.E. indique qu’il « n’existe pas de critère unique, clair et objectif permettant d’identifier un pays comme étant un paradis fiscal ». C’est à partir de ce flou que Thierry Verbeke décide d’installer un container pensé comme un module d’accueil et de vente. Signalé par un palmier et grimé de panneaux aux couleurs criardes et aux slogans aguicheurs (OFFSHORE – YOU WIN – TAX HEAVEN), le module promet des avantages, la réussite et le profit. L’artiste s’approprie un mode de communication normé, incisif (voire agressif) pour inciter le visiteur à implanter son siège social au sein du P.E.Z. Une manière pour lui de questionner le statut trouble des paradis fiscaux et de dénoncer l’inaction politique. P.E.Z. traduit aussi l’impuissance des Etats face au marché financier.

panneau de chantier, bois de charpente, impression sur PVC (3,5 X 2 X 3,5M)

panneau de chantier, bois de charpente, impression sur PVC (3,5 X 2 X 3,5M)

Red Zone

 Non loin du container, est planté un drapeau hors norme. Entre deux mats s’étire un drapeau hybride où les couleurs de la France rejoignent celles de la Belgique et vice-versa. Les deux pays sont réunis par une couleur commune, une zone rouge est mise en avant. Une fois de plus, Thierry Verbeke explore la binarité de l’objet. La zone rouge est en effet dotée d’une lecture double, elle peut à la fois signifier l’amitié franco-belge, l’étroite relation qui lie les deux pays (linguistiques, économiques, culturelles, historiques), mais aussi les tensions et les incompréhensions. Ces dernières sont notamment dues aux affirmations identitaires. La zone rouge incarne la relation qu’entretient Thierry Verbeke avec la frontière, une relation qui oscille entre malaise et attachement. En ce sens, l’espace de la frontière, matérialisée par l’artiste au moyen d’une large ligne en pointillés noirs, traduit les échanges, les passages et les crispations expérimentés au quotidien d’un bord à l’autre.

Drapeau de la zone P.E.Z., plots béton, mâts, pavillons, sandows rouges, (6X9M)

Drapeau de la zone P.E.Z., plots béton, mâts, pavillons, sandows rouges, (6X9M)

Avec dérision, humour et un sens critique aiguisé, Thierry Verbeke cultive l’ambiguïté en traitant de la complexité des liens franco-belges. Via deux symboles forts, les drapeaux et le paradis fiscal, il parvient à soulever les points épineux : l’évasion fiscale, qui, même si elle est condamnée par la communauté internationale, perdure ; la langue, vecteur de tensions identitaires et politiques ; l’économie locale entre la région Nord et le nord de la Belgique. Par le biais de ses dispositifs artistiques, Thierry Verbeke pointe du doigt l’indifférence, les contradictions, les injustices générées par notre société où l’individu a perdu sa place. Il construit une réflexion du soulèvement au moyen d’actions et d’interventions publiques. Ses œuvres confrontent le regardeur à un réel teinté d’hypocrisie, d’aveuglement et d’ironie. L’artiste nous invite à ne plus subir, mais à redevenir acteurs du réel.

monnaie PEZ, acier inoxydable gravé au laser édition de 100 ex.

monnaie PEZ, acier inoxydable gravé au laser édition de 100 ex.

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P.E.Z (paradise Economic Zone) est un paradis fiscal de proximité, situé sur l’ancien poste frontière de Rekkem-Ferrain autoroute E17/A22.

En savoir + http://thierry.verbeke.free.fr/

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