AMY O’NEILL /// A La Recherche du Temps Perdu

Le FRAC Basse-Normandie présente jusqu’au 22 avril 2012, une exposition personnelle de l’artiste américaine Amy O’Neill (née en 1971, à Beaver, elle vit et travaille à New-York). Toujours en quête de lieux abandonnés, comme figés dans le temps, l’artiste se fait archéologue de ses propres souvenirs et de l’époque contemporaine. Son terrain favori :la Pennsylvanie, terre de son enfance. Elle observe et examine les parcs d’attractions périclitant, les friches de lieux autrefois fréquentés, utilisés et aimés. Elle filme, photographie et s’approprie des objets emblématiques d’époques évanouies. Ces lieux et objets sont les artefacts d’une culture populaire américaine que l’artiste se plaît à analyser et à interroger.

L’exposition se déploie dans deux salles. Au rez-de-chaussée sont présentées deux œuvres. Une œuvre au mur, Colonial Roof, qui est une reconstitution du fronton d’un bar en Pennsylvanie (Joe’s Bar). L’artiste a conservé le fronton triangulaire en latte de bois pentes en blanc, caractéristique de l’architecture néocoloniale, et au centre un aigle noir aux ailes déployées. L’aigle est menaçant, il semble se jeter sur sa proie. Il est un symbole puissant aux Etats-Unis, il incarne l’union, la force et le pouvoir. Au sol est présentée une installation intitulée Victory Garden (2011) qui est formée de 463 sacs de jute remplis de sable. Ils sont empilés et forment cinq rangées et un rectangle fermé. Ce rectangle ressemble à un inquiétant bac à sable pour enfant. Le tout est disposé sur une pelouse artificielle. Pourtant, il ne s’agit en rien d’un terrain de jeu. S’il n’est pas repérable au premier coup d’œil, il nous suffit de tourner autour de cet étrange jardin pour nous rendre compte que l’ensemble est une reformulation du drapeau américain.

Des sacs, du sable, une pelouse et un drapeau factice qui renvoient aux années 1940 et à la SecondeGuerreMondiale. En effet, sur chacun des sacs l’artiste a sérigraphié un logo formé de la lettre V majuscule, d’une fourche et de trois pommes de terre. Elle précise : « C’est un tas de pommes de terre qui peut aussi être vu comme – cela me gêne de le dire – un corps, mais un corps sans membres. Cela rappelle bien sûr tous ces gars qui ont été amputés à cause de la guerre. Ces dessins sont peut-être un peu macabres, comme le sont les corps/marionnettes de Hans Bellmer »[1] Ils sont les témoins d’une action politique durant la guerre, puisque les gouvernements américain et anglais encouragent les populations à bécher la terre pour y faire pousser des légumes. La nourriture est alors rationnée, les gens manquent de tout, il leur est demandé de se mobiliser et de tout mettre en œuvre pour produire eux-mêmes les fruits et légumes. Une production qui devait permettre non seulement leur survie mais aussi celle de leurs compatriotes et de leurs soldats. Plus de vingt millions d’américains et de britanniques répondent favorablement à cet appel. La terre devient le lieu de la propagande et de l’union nationale. Des millions de jardins sont plantés au nom d’un patriotisme exacerbé, ici symbolisé par le drapeau reconstitué et l’aigle aux ailes déployées.

Les sacs de jute empilés rappellent ceux utilisés dans les tranchées militaires pour se protéger des balles. Sans véritablement se fixer sur un lieu spécifique, l’artiste formule une évocation matérielle et symbolique des jardins solidaires. Ainsi, chaque élément de l’installation interroge les notions de nationalisme, de patriotisme, de solidarité, de guerre. « Aujourd’hui, aux Etats-Unis, notre participation dans les guerres en cours, des guerres que nous avons initiées, ne génère que peu d’engagement public. Ce fut le point de départ de ma réflexion : serions-nous prêts à agir de façon concrète et presque quotidienne, pour soutenir de telles guerres ? » (Amy O’Neill). Elle se demande si aujourd’hui, les Américains du XXIème siècle, qui se sont enlisés sur les fronts de plusieurs pays du Moyen-Orient, accepteraient un tel dispositif de propagande et seraient prêts à retourner la terre ou à s’engager dans un plan gouvernemental du même type.

A l’étage sont présentées au mur trois photographies d’archives en noir et blanc où par exemples quatre jeunes filles souriantes, montrant fièrement les légumes de leurs jardins, ou bien un groupe d’hommes mimant un orchestre dont les instruments sont remplacés par des légumes. Les photographies témoignent d’une joie de vivre et d’une fierté collective à participer au plan gouvernemental. Aux photographies de propagande sont confrontées trois sculptures directement disposées au sol, en reprenant le dispositif observé avec Victory Garden, l’artiste a reconstitué trois drapeaux américains au moyen de bandes de jute remplies de sable. Elle explique : « Déconstruire cet objet revient à le considérer différemment, à ne pas l’imaginer comme quelque chose de définitif ou codifié de façon univoque. Mon désir est plus de générer des idées que de déconstruire un système, même si le titre de cette série contredit un peu ce principe. »[2] Les bandes comportent les logos et marques frappés sur les sacs qu’elle a récoltés. Ils symbolisent la multitude de petits jardins activés par une population  portée par un élan de solidarité. Près d’eux, un étrange épouvantail, Scarebraw (2011) se doit de chasser les nuisibles. Formé d’un porte manteau en bois, d’un vêtement sommaire et d’un sac de jute en guise de tête, l’épouvantail nous rappelle également les images largement diffusées sur Internet des prisonniers d’Abou Ghraib ou de Guantanamo, dont les visages recouverts d’un sac noir qui dissimulait les identités de ceux qui étaient considérés comme les pires ennemis de la nation américaine. Alors les guerres et les époques se télescopent et s’entrechoquent. Alors l’épouvantail détient une double lecture, il protège des agressions extérieures et incarne l’ennemi.

Sur un autre mur est diffusée la vidéo Holy Land USA (2012) qui vient prolonger la réflexion de l’artiste sur les lieux abandonnés, regagnés par la nature. Pendant cinq minutes nous découvrons des images ce qui était une reconstitution de la ville de Jérusalem, sous la forme d’un parc d’attraction, à Waterbury dans le Connecticut. Populaire dans les années 1970, le lieu est finalement fermé en 1986. Amy O’Neill revient sur l’histoire de cet étrange parc partiellement recouvert par la nature. Les pierres comportent des textes, Church, Herod’s Palace, Temple, Capernaum, Wailing Wall etc. Les textes gravés dans les murs et les pierres jouent un rôle important, ils font office d’indication et d’information, ils guident le visiteur dans cette ville factice. Une ville résumée par des bâtiments faussement antiques, des mots et des évocations. Aujourd’hui, les vitres sont brisées, la mousse recouvre les pierres, les bâtiments s’effondrent et les arbres envahissent le terrain.

La culture populaire, l’expérience personnelle de l’artiste et la grande Histoire dialoguent dans l’œuvre d’Amy O’Neill qui extrait de ces trois pôles un discours rempli de contradictions, de non sens et d’hypocrisie. Ainsi, elle sonde la société américaine actuelle à travers une démarche quasi archéologique qui consiste à revenir sur les traces de lieux autrefois vivants qui sont aujourd’hui abandonnés, déconsidérés et rendus à la nature. Des lieux qui avaient pour objectif la construction d’une identité nationale ou la transmission d’une culturelle universelle véhiculée par des moyens populaires, folkloriques ou ludiques. Des lieux et des objets comme les sacs de jute qui témoignent d’une ferveur collective, d’un engouement patriotique qui dans le contexte actuel ne seraient pas imaginables ou envisageables. L’artiste qui a grandi en ayant expérimenté ou côtoyé ces lieux et ces symboles, revient sur tous ces éléments de construction et questionne un discours ambiant. Sans nostalgie ni empathie, elle fait le constat de situations passées et formule ainsi une critique acerbe de l’histoire en marche.

Julie Crenn

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Exposition Amy O’Neill, du 3 mars au 22 avril 2012, au FRAC Basse- Normandie.

 

Plus d’informations sur l’exposition :

Plus d’informations sur l’artiste : http://www.oneillamy.com/

 

Article en collaboration avec la revue Inferno : http://ilinferno.com/2012/03/19/amy-oneill-a-la-recherche-du-temps-perdu/.

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[1] KAESER, Olivier. «  Interview avec Amy O’Neill » in Journal Le Phare, n°8, mais 2011.

[2] Ibid.

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