La Maison de la Revue Noire présente actuellement une exposition monographique de l’artiste malien, Abdoulaye Konaté (né en 1953, à Diré). Une exposition qui vient prolonger l’engagement dela Revue Noire par rapport au développement et à la représentation de la scène artistique africaine, et plus spécifiquement l’art contemporain et traditionnel malien. Peintre de formation, Abdoulaye Konate est un artiste reconnu sur la scène internationale et s’implique personnellement dans le fonctionnement de la vie culturelle et artistique au Mali. En plus de ses activités artistiques, il est aujourd’hui le Directeur général du Conservatoire des Arts et métiers Multimédia Balla Fasseké Kouyaté de Bamako, il participe à de nombreux jury et projets collectifs.
La Maison de la Revue Noire a choisi de présenter une sélection des tapisseries-tentures de l’artiste. Une série d’œuvres aux formats impressionnants entreprise au milieu des années 1990. Des tentures formées de centaine de rectangles de basin (tissu de coton servant entre autres à la confection des boubous) et de wax imprimés. Formé auprès d’artisans il a choisi de donner une nouvelle impulsion aux pratiques traditionnelles, pour cela il s’inspire librement des créations Bogolan, des costumes des musicien sénoufos, des tissages Peuls ou encore les pratiques textiles issues de la culture Mandingue. Les spécificités tribales ou régionales fusionnent dans une œuvre qui prône l’universalité et la réconciliation. Alors, il teint les tissus, les découpe et les coud ensemble à la manière de patchworks bidimensionnels, voire tridimensionnels. En plus du découpage et de la couture, l’artiste déploie un éventail de techniques privilégiant l’élaboration de jeux visuels et d’effets d’optique captivants. Il sculpture les textiles grâce aux plis, aux superpositions, aux alternations des creux et des pleins, aux variations, aux déséquilibres, aux nuances, à l’utilisation de l’appliqué ou encore de l’incrustation d’objets. Les tentures nous apparaissent comme des paysages textiles abstraits dans lesquels nos yeux sont invités à se plonger. Des paysages où la répétition des gestes et des motifs rythme les compositions. Chaque rectangle ou languette textile est empreinte d’une couleur qui mis bout-à-bout formulent des camaïeux de bleus profonds, de noirs, de gris, de violets ou de blancs. La couleur nous attrape. Plusieurs compositions sont marquées par une couleur dominante, déclinée sur une variété de nuances, ainsi que par l’insertion d’une bande longiligne au centre (Composition 2 -2012 ; Composition 4 – 2012 ; Symphonie Bleue série 4 – 2011 ; Les Offrandes de couleurs – 2012). Cette bande, souvent rouge, blanche et noire, tranche avec l’ensemble. Elle semble traduire des figures humaines géométriques et stylisées. Car il est chaque fois question de la condition humaine qui est visuellement et intentionnellement placée au centre de sa démarche artistique.
« Au Mali, il est difficile de trouver du matériel pour peindre. Tous les continents ont développé leur art avec leurs propres matériaux. On a beaucoup de textiles au Mali, je me suis donc tourné vers cette matière qui me permet de trouver les couleurs que je veux. C’est un plaisir intense pour moi de travailler les teintes, de voir surgir les nuances. »[1] Abdoulaye Konate favorise une collaboration étroite avec les tisserands, les teinturiers et les artisans traditionnels maliens. Il inscrit ses sculptures textiles dans un héritage qu’il souhaite valoriser, cultiver et propager dans et au-delà des frontières de son pays. Parce qu’il a fait une partie de ses études à la Havane, il s’est imprégné de l’art surréaliste sud-américain, et notamment des peintures de Wilfredo Lam, dont l’œuvre a fortement marqué sa propre pratique peinte et dessinée. Il s’est ainsi confronté à d’autres cultures, d’autres mouvements, d’autres territoires, qu’il a su allier et associer à sa propre démarche. L’artisanat malien est augmenté, sublimé et politisé. À l’apparente abstraction s’ajoute un engagement critique, politique et personnel. Abdoulaye Konate lutte contre les injustices et dénonce les dérives humaines. Il développe ainsi une vision pertinente des enjeux géopolitiques, économiques et sociaux, non seulement du continent africain, mais aussi du reste du monde. La preuve en est avec sa participation à l’exposition Dégagement – La Tunisie un An après à l’Institut du Monde Arabe, où il présente une tapisserie-tenture intitulée Fruits de Tunisie (Bouazizi)– 2011, qui rend hommage à Mohamed Bouazizi. Ce jeune vendeur de fruits et légumes s’est immolé par désespoir et pour contester contre les abus économiques de son pays. Il est à l’origine de la révolte tunisienne et de la chute de Ben Ali. La tapisserie blanche de Konaté, figure dans la partie inférieure des fruits et légumes du jeune martyre. Parce qu’il participe à cette exposition collective qui fait le constat et le premier bilan d’une scène artistique tunisienne en ébullition, l’artiste malien soutien et adhère à la cause révolutionnaire arabe.
Je ne dirais pas que je suis un artiste engagé mais je m’intéresse aux problèmes sociaux. Je vois la souffrance humaine. Généralement, les gens la traitent sous un angle politique, moi je la présente toujours sous un angle social.[2]
En 2002, à l’occasion de l’ouverture de la Coupe Africaine des Nations, il déploie sur le stade de Bamako une impressionnante tenture de 6 000 m²pour manifester son soutien à la lutte contre le sida. Il s’attaque aux conflits et crises épineuses comme celle des Balkans qu’il associe à la guerre en Angola et au génocide vécu au Rwanda (Bosnie, Rwanda, Angola -1995), trois traumatismes qui ont eu lieux au même moment et qui provenaient de violentes dissensions ethniques et religieuses. Il traite également de la crise qui oppose Israël et la Palestine (Gris-gris blancs pour Israël et la Palestine – 2006). À ce regard sur les injustices sociales, les guerres de territoires et les antagonismes nationalistes, il ajoute une réflexion sur les méfaits causés par les extrémismes religieux, qui séparent les individus et génèrent non seulement des conflits communautaires, mais aussi des évènements traumatisants comme le 11 septembre 2011 à New York. Il s’attache à des sujets cruciaux en incorporant des symboles universaux comme des drapeaux, des sigles religieux ou des objets dont la lecture est accessible à tous. Nous pensons notamment à une œuvre comme L’Initiation – 2004, où les figures humaines sont résumées à leurs drapeaux nationaux, leurs idéologies politiques et leurs religions. En 2008, il réalise Génération Biométrique, une œuvre parsemée de silhouettes stylisées, amputées d’un bras et d’une jambe, des hommes et des femmes dont les corps découpés dans différents wax, incarnent les individus immigrés dont les vies sont aujourd’hui définitivement perdues ou fragmentées. Sans provocation ni subversion, il agite le drapeau des consciences et appelle à une réconciliation humaine.
« Je ne veux pas qu’on regarde d’abord le tissu, explique Konaté. Je l’utilise comme une palette, parfois pour traiter de thèmes très violents. Je souhaite qu’on voie d’abord la couleur et le thème. »[3] À travers ses tapisseries-tentures, Abdoulaye Konaté participe non seulement au renouvellement d’un art traditionnel, mais formule aussi des commentaires critiques articulés selon des titres explicites, des associations visuelles ou des formes métaphoriques. Il conserve la fonction d’outil de communication où le tissu est le vecteur de messages spécifiques, lisibles et compréhensibles par tous. Sans militantisme exacerbé, il découpe, teint et coud les maux de notre monde dont il souhaite l’apaisement et la dissipation. À travers une appropriation d’un art local, traditionnel, l’artiste affiche une conscience mondiale, globale. Les tapisseries-tentures ne sont pas des objets décoratifs, ils portent des messages de paix, de médiation, liés à une actualité pénible, urgente et déchirante. Plus qu’un art issu d’une tradition artisanale, les tentures de Konate se font les étendards d’un investissement et d’une parole critique.
Julie Crenn
—————————————————————————————————————————————-
Exposition Abdoulaye Konaté – Tentures, Teintures, du 7 mars au 5 mai 2012, àla Maison dela Revue Noire.
Plus d’informations sur l’exposition : http://www.revuenoire.com/.
Article en collaboration avec la revue INFERNO : http://inferno-magazine.com/2012/03/28/abdoulaye-konate-resonnances-textiles/.
—————————————————————————————————————————————-
[1] MARSAUD, Olivia. « Abdoulaye Konaté – Sentiments Textiles » in Africultures, mars 2012. En ligne : http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=10642.
[2] MARSAUD, Olivia (2012).
[3] Lire l’article sur Jeuneafrique.com : Mali : Abdoulaye Konaté, grand couturier | Jeuneafrique.com – le premier site d’information et d’actualité sur l’Afrique