CHARLOTTE CHARBONNEL /// reverSolidus

Resonarium, 2011
structure en aluminium, limaille de fer, aimants, moteur
150 x 90 x 40 cm.
Courtesy Backslash Gallery, Paris.

Après la Maréchalerie de Versailles (2009), la Verrière Hermès à Bruxelles et le Musée Réattu à Arles (2011), Charlotte Charbonnel (née en 1980, vit et travaille à Paris) présente en ce moment sa première exposition personnelle à la Backslash Gallery(Paris). Une présentation principalement formée d’installations reposant sur une réflexion pluridisciplinaire, mêlant sciences, techniques, biologie. Une palette multiréférentielle dont elle extrait des formes et des expériences esthétiques. reverSolidus fait appel à nos sens : manipulations physiques des œuvres, participation aux différents dispositifs, perceptions visuelles et sonores. Chaque pièce amène une attraction entre le regardeur (qui devient ici acteur) et le matériau exploité. Ainsi notre participation est requise pour certaines pièces afin d’activer des dispositifs aussi fascinants que déconcertants.

Au rez-de-chaussée, nous sommes d’abord accueillis par Resonarium (2011), une pièce installée dans la vitrine de la galerie. Formée d’une structure en aluminium et d’un caisson en verre, l’œuvre est un perpétuel spectacle de l’imperceptible. Grâce à un moteur et à deux aimants puissants, de la limaille de fer brute se déplace dans le caisson et forme progressivement des amas organiques, piquants et extrêmement fragiles. Deux masses tournant lentement, qui avec le temps, se rejoignent et évoluent dans cet espace confiné. La limaille s’est agglutinée sur les deux aimants latéraux et s’est métamorphosée à un paysage lunaire, miniature. L’artiste allie mouvement et magnétisme pour redéfinir une matière. Celle-ci perd sa propriété commune pour devenir cette forme inidentifiable, fascinante et puissante. La savante association des caractéristiques physiques de chacun des matériaux retenus favorise alors une entité organique, mécanique, vivante.

Vue de l'exposition. Backslash Gallery, Paris.

Nous retrouvons la limaille de fer dans une série de six dessins, où sur du papier blanc la matière brute est libérée, comme imprimée, puis cristallisée [Limaille Fossilisée, 2011-2012]. Les dessins apparaissent à la fois comme les résidus et les extensions de l’installation mécanique. Les motifs formés par le dépôt de fer font écho aux intérieurs de roches, aux cellules minérales, humaines ou végétales vues avec un microscope ou autre machine de précision visuelle. L’artiste utilise chaque propriété, chaque contrainte et chaque possibilité pour en extraite l’inattendu, l’improbable. Comme pour la série des Petits Colosses (2012), dont trois pièces sont présentées à l’étage. Des caissons de verres sont intégrés à des colonnes blanches, au sein des caissons sont cristallisés les résultats produits par la machine Resonarium. Les entités de limaille de fer apparaissent comme des caryatides précaires, liant deux parties de la colonne. La construction fragile semble soutenir le tout. Une fois de plus, le déséquilibre visuel et matériel est mis en avant. Entre vulnérabilité et solidité, les matériaux sont détournés et redéfinis.

À travers ses expériences précises et extrêmement fouillées, elle recherche des résultats réjouissants qu’ils soient visuels ou sensoriels. Un monde nouveau est généré grâce au traitement de la matière. Car il s’agit en fait de traductions, d’évolutions ou de prolongements de matières brutes comme le souligne la série de photographies intitulée Matières (2011). Des images grands formats, apparemment abstraites, extrêmement colorées et lumineuses. Des photographies d’intérieurs infiniment petits ou infiniment grands, aucun indice n’est donné pour justement nous plonger dans ces univers étranges et sublimes, puisqu’ils dépassent la perception normale.

Limaille fossilisée, 2011
limaille de fer et vernis
50 x 65 cm
Courtesy Backslash Gallery, Paris.

Au sol sont disposées trois plateformes formées de caissons carrés en bois, sur lesquels nous sommes invités à monter. En déséquilibre sur une planche, nous expérimentons trois sensations : le gonflement/dégonflement, une poussée plus dure et une poussée crayeuse. Le corps est doucement mis à l’épreuve de matériaux dissimulés, intégrés aux caissons. L’artiste explique : « Je m’intéresse à ce que l’on ne peut pas maîtriser, à cette alliance de beauté et de danger perceptibles lors de phénomènes naturels ». Ainsi les pièces offrent des sensations réjouissantes et étonnantes, à l’instar de Syphonie pour orgue (2012), un orgue composé de tuyaux en plastiques totalement intégré à l’espace de la mezzanine de la galerie. L’œuvre forme une entité rhizomique, éclatée et en harmonie avec l’espace et les éléments préexistants (escaliers, tuyaux de la galerie et rambardes métalliques). Il nous faut ensuite découvrir les possibilités offertes par cet orgue insolite muni de ventilateurs, de micros et d’enceintes. L’air ambiant est capté, les déplacements générèrent des sons attrapés par les micros et retraduits par le réseau tubulaire. Des bruits sourds et lancinants s’échappent et semblent circuler dans les tubes.

La notion de traduction est essentielle dans cette recherche technique et plastique. Par exemple, une œuvre comme Parabols, utilise le son, la réverbération et l’eau pour redéfinir l’ambiance sonore de la galerie. Tout est capté et restitué d’une manière subtile, sensible et brillante. Le manège de sphères en plastique transparent, nous amène à découvrir des sons inconnus [Sténosphères, 2011]. Ainsi, en portant un casque sur nos oreilles et en manipulant chaque sphère, les matières communes deviennent sonores. D’autres pièces proviennent de recherches sur les sons, mais sont matériellement muettes. Ainsi le Pantonier Sonore (2012) figures grâce à des conformateurs et des tiges de fer, le son des couleurs. Si le bruit du blanc est le plus connu, l’artiste s’est intéressée aux autres bruits, aux autres couleurs, générant ainsi une série d’œuvres insolites. De même, quatre Phonoglyphes (2012) sont présentés au mur. Des vinyles en porcelaine et en émail dont le contenu sonore restera énigmatique. La série repose sur l’enregistrement utopique de l’environnement sonore du potier lorsqu’il a tourné les objets fabriqués. La matière contiendrait des sons jamais entendus, des témoignages évanouis dans l’argile. Si la théorie s’est révélée fausse, l’artiste s’est appropriée le mythe scientifique et l’a transposé à un objet contemporain, le vinyle, qui lui-même pose des questions sur notre époque. En effet, le vinyle est bien connu des générations plus anciennes, mais pas des plus jeunes générations pour qui l’objet est largement daté à l’heure du tout numérique. Les œuvres circulaires font donc appel à l’utopie scientifique et aux objets remplacés par les nouvelles technologies. Deux caractéristiques qui mobilisent les voix du passé qui sont comme coincées dans la matière. Elles renvoient également à l’éphémérité des objets et des sons.

Vue de l'exposition. Backslash Gallery, Paris.

Attractio (2012) vient prolonger notre expérience des objets et des sons. De fines cordes colorées sont tendues entre deux murs dans l’espace de la galerie. Nous sommes invités à toucher les cordes qui, une fois mises en mouvement, projettent différents sons. Les fils de nylon multicolores deviennent un instrument, qui comme Syphonie pour orgue, d’adapte à l’espace, s’imprègne de ses contraintes et de ses possibilités acoustiques pour redéfinir l’ambiance sonore. En actionnant les cordes nous nous rendons rapidement compte que de l’autre côté du mur, des objets métalliques viennent frapper la paroi. Des aiguilles à brider se lever et s’abattent contre le mur au fil des compositions sonores aléatoires. Une activité qu’il nous est impossible de voir alors que nous jouant avec les fils. L’œuvre intègre une frustration visuelle, une curiosité et un trouble.

L’exposition de Charlotte Charbonnel nous permet d’appréhender les différentes facettes d’une œuvre et d’une démarche complexe dont la sensibilité et la force trouvent un point d’équilibre visuel, matériel et sensoriel. Avec pertinence, elle nous propose d’envisager autrement des objets et des matières qui nous sont (ou qui nous semblent) familiers. Ainsi nous poussons des portes et entrons dans des univers instables, énigmatiques, des espaces qui nous ramènent à notre propre échelle et à notre impuissance face à des phénomènes qui nous dépassent et nous submergent.

Julie Crenn.

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Exposition Charlotte Charbonnel – reverSolidus, du 17 mars au 28 avril 2012, à la Backslash Gallery (Paris).

Plus d’informations sur l’exposition : http://www.backslashgallery.com/.

Plus d’informations sur l’artiste : http://www.charlotte-charbonnel.com/.

Voir aussi : http://vimeo.com/user2362636.

Article en collaboration avec la revue INFERNO : http://inferno-magazine.com/2012/04/17/charlotte-charbonnel-reversolidus/.

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