Compte rendu expo /// TANIA MOURAUD – Exhausted Laughters /// Musée d’art moderne et contemporain – Saint Etienne /// ARTPRESS.COM #414

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Il nous faut franchir un épais rideau blanc pour pénétrer l’univers de Tania Mouraud. Plongés dans l’obscurité, nous sommes immédiatement happés par les images convulsives et le son obsédant. L’exposition, Exhausted Laughters, est formée de six œuvres, vidéos et installations, qui retracent une décennie de création (2002-2012). À travers elles, nous entrons au cœur de la réflexion de l’artiste : sonder la nature humaine. Chaque œuvre peut être comprise comme un champ de bataille, en cours, suspendu ou achevé. Ces champs laissent derrière eux une somme de blessures, de doutes et de questions. L’artiste articule plusieurs niveaux de lectures. Un rapport entre l’Homme et la Nature traverse l’exposition : les troncs d’arbres d’une forêt canadienne sont tronçonnés, élagués et recoupés par une machine dont le ballet violent fascine et terrifie (Once Upon a Time, 2011-2012). Les images d’arbres à fruit en fleurs s’entrechoquent avec celles de bombardements, d’explosions et de tirs de rockets (Le Verger, 2003). Le cri répété d’un enfant nous perfore de part en part. La guerre, passée comme présente, s’immisce au creux d’un paradis perdu. Comment souvent dans l’œuvre de Tania Mouraud, la violence tutoie la sérénité. Les extrêmes sont conjugués. L’installation Roaming (2008) nous entraîne à nouveau dans la forêt. Une chasse est en cours, qui traque qui ? Les images d’un mirador plongé dans la nuit dialoguent avec celles d’un sanglier agonisant au sol. La silhouette d’un cerf qui se faufile entre les arbres fait face à un chasseur, vu de dos, qui marche lentement. L’animal observe l’Homme, et inversement. La suite du parcours nous amène sur le chemin de la mémoire. L’artiste puise dans sa propre histoire, celle de son père, né en Roumanie, résistant pendant la Seconde Guerre Mondiale, fusillé en 1945. Les images fouillent une blessure profonde. No Name (2012) fonctionne en double écran, à gauche, les lèvres d’une femme soufflent dans un instrument de musique, à droite, les vues d’un cimetière juif abandonné en Roumanie. Les stèles ont disparu, les morts sont anonymes, le silence s’impose. Sur un autre écran, NEEIN (2002-2008) présente un flux d’images saccadées. Il s’agit de captures de plaques mortuaires déposées au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem. Leur présence traduit l’absence des sépultures. Notre perception est mise à l’épreuve. Les images brouillées expriment la difficulté du deuil et du souvenir. La dernière vidéo, Sightseeing (2002) prolonge le malaise. À bord d’une voiture, Tania Mouraud filme le paysage derrière une vitre embuée : les arbres, la neige, le ciel. La musique Klezmer (musique traditionnelle Yiddish) de Claudine Movsessian apporte un souffle vital qui est stoppé brutalement. Au bout de la route, les portes du camp de concentration de Natzweiler-Struthof en Alsace. Nous y retrouvons un autre type de mirador, les barbelés, le temps suspendu. Des passages sont créés entre les œuvres, différents niveaux de lectures sont convoqués: physique, auditif, visuel, symbolique et mémoriel. Entre effroi et fascination, Tania Mouraud articule une pluralité de sentiments, de sensations et de souvenirs. Si elle pose un regarde inquiété et inquiétant sur une humanité barbare et blessée, elle invite le regardeur à la persévérance, à l’engagement et à la résistance.

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Exposition / Tania Mouraud – Exhausted Laughters

Musée d’art moderne et d’art contemporain – Saint Etienne

Du 14 juin au 21 septembre 2014

+ http://www.mam-st-etienne.fr/index.php?rubrique=31&exposition_id=272

ARTPRESS / http://www.artpress.com/article/30/09/2014/tania-mouraud-i-exhausted-laughtersi–musee-dart-moderne-et-contemporain-de-saint-etienne/29776

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