Lucien Murat – Trash-Kitsch/ Kitsch-Trash

La Cinquième Roue du Carrosse, 2013, 240 x 220cm, Acrylique sur Tapisseries

La 5ème Roue du Carrosse, 2013, 240 x 220cm, Acrylique sur Tapisseries

Kitsch / substantif masculin / Caractère esthétique d’œuvres et d’objets, souvent à grande diffusion, dont les traits dominants sont l’inauthenticité, la surcharge, le cumul des matières ou des fonctions et souvent le mauvais goût et la médiocrité.

Lucien Murat met en image le chaos. Un monde post-apocalyptique où l’humanité et tout ce qui la définit se sont évanouis. Que reste-t-il alors ? Une société d’êtres monstrueux, hybridés, mi-organiques, mi-mécaniques, des anges hallucinés, des terroristes aux yeux exorbités, des animaux enragés ou encore des soldats dont les squelettes riants rodent autour des incendies. Un univers carnavalesque et cannibale où planent la violence insolente des frères Chapman, le fourmillement de Brueghel l’Ancien, le goût pour la provocation de Tracey Emin, le surréalisme de Jheronimus Bosch ou encore la démesure et l’humour de Grayson Perry. Ses œuvres étirent aussi l’héritage médiéval des enluminures, des vitraux et des tapisseries historiées. En dehors des modes, l’artiste jouit ainsi d’une liberté de style et de ton qui détonne et fascine. Son imagerie ultra-violente, grotesque et monstrueuse se mêle à un tout autre type d’images : les scènes brodées sur canevas. Nous y rencontrons ainsi une nature morte où un bouquet de fleurs est joliment agencé dans un vase, un troupeau de vaches paissant tranquillement dans un champ, une odalisque se languissant dans la soie, un cavalier chevauchant fièrement, des biches dans une forêt, un calvaire breton autour duquel se sont regroupés des hommes et des femmes vêtus des costumes traditionnels. Pour donner forme au chaos, l’artiste articule les contraires. Le luxe, le calme et la volupté rencontrent le métal hurlant.

KABOOM, 2014, 200 x 200cm, Acrylique sur Tapisseries.

KABOOM, 2014, 200 x 200cm, Acrylique sur Tapisseries.

Les broderies sur canevas font partie des souvenirs d’enfance de Lucien Murat, qui, depuis quelques années, s’emploie à les récolter, les associer et les coudre entre elles. Ensemble, les canevas forment un patchwork où une multiplicité de scènes, de figures et de sujets sont combinés pour devenir le support de la peinture. L’artiste recouvre les œuvres brodées de colle transparente et peint par-dessus les motifs. Si la peinture est synonyme d’invention et de liberté, le canevas, du fait de son cadre technique, ne laisse aucune place à l’improvisation. Il peint à partir des éléments existants dont il étire le dessin original, multiplie les motifs, augmente les scènes ou détourne les sujets. Alors, les motifs intrusifs, paranormaux et anatomiques envahissent la douceur et le calme des scènes bucoliques. Deux imageries se rencontrent pour donner naissance à des compositions où le chaos, l’absurde, l’ironie et l’humour s’entrechoquent.

K11 - 2015 Crédits / Edwige de Montalembert

K11 – 2015
Crédits / Edwige de Montalembert

Du fait de ses choix matériels et iconographiques, Lucien Murat injecte une dimension politique à son œuvre. Rien n’est y est anodin. Si la peinture est traditionnellement associée aux hommes (les « génies » de l’histoire de l’art), la pratique du canevas est liée à la sphère domestique et féminine. L’exécutant travaille d’après un modèle qu’il s’attache à reproduire le plus fidèlement. Les images étant pré-imprimées et les codes-couleurs déterminés par avance, le canevas relève plus du passe-temps que de la création en tant que telle. Puisqu’il n’exige ni inventivité ni compétence technique spécifique, il entre en totale contradiction avec l’acte de création, avec la peinture. Dérivés de la tapisserie, les canevas sont encadrés et accrochés au-dessus des cheminées, transformés en coussins ornant les canapés et les fauteuils. Devenue très populaire à partir du XVIIIème siècle, la pratique du canevas contamine toutes les couches sociales et constitue un premier accès à l’image pour les classes les plus défavorisées. Les femmes brodent des répliques de Botticelli, du Titien, de Fragonard, de Rubens, de Vermeer ou de Millet. L’histoire de l’art et les images populaires font leur entrée dans les foyers les plus modestes. Lucien Murat superpose les registres de lecture en brouillant les archétypes, les traditions, les éternelles dichotomies (féminin-masculin, art-artisanat), les hiérarchies (peinture-broderie) et les références (jeu vidéo, bande dessinée, histoire de l’art, imagerie médicale).

K11, 2015, 240 x 215cm, Acrylique sur Tapisseries.

Fukushima mon amour, 2015, 240 x 215cm, Acrylique sur Tapisseries. Crédits / Edwige de Montalembert

Il existe cependant un point de frottement entre deux traditions, celle de la peinture et celle de la tapisserie, ce sont deux médiums d’Histoire. Ils traversent les époques et les civilisations pour restituer les images des événements (majeurs et mineurs) de l’histoire humaine. Lucien Murat s’inscrit dans cet héritage artistique. Son iconographie débridée et burlesque participe à la construction d’une mythologie nouvelle ancrée à la fois dans le passé et l’actualité. Une mythologie nourrie d’une hyper-violence et d’une confusion inhérentes à notre société amnésique et boulimique. Les tapisseries-peintures forment alors un amalgame à la fois indigeste et réjouissant, où les sujets et les motifs agissent comme un virus hautement invasif, contaminant ainsi un imaginaire collectif saturé et standardisé.

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LUCIEN MURAT

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