Comment allier deux univers artistiques que tout semble séparer ? Alain Declercq pratique la photographie, la vidéo et la sculpture. Il développe une réflexion sur les stratégies mises en œuvre pour surveiller l’autre, se surveiller soi-même et contrôler un espace, une situation. Plus largement, il travaille la violence (ses symboles et ses conséquences) comme une véritable matière dont la portée historique, psychologique ou sociologique nous renseigne sur notre société inquiète. Son œuvre souligne la présence d’une menace : réelle ou fictive, individuelle ou collective, aveugle ou tangible. Par la citation et l’appropriation, Pascal Lièvre conjugue l’histoire de l’art à la philosophie et aux questions relatives au genre (féminisme, queer). L’approche genrée-féministe joue d’ailleurs un moteur de plus en plus important dans son œuvre. De Nietzsche à Beyoncé en passant par Judith Butler ou Sol LeWitt, il mixe les registres (culturels, savants, populaires) pour dégager des axes critiques et politiques.
Deux univers plastiques que tout oppose. Pourtant, Alain Declercq et Pascal Lièvre partagent une dimension critique et politique portée à l’encontre des systèmes autoritaires et des mécanismes d’oppressions. Ils partagent également un goût pour la transgression et la transformation. C’est ainsi qu’est née la photographie intitulée [Shut] Suicide (2016), une image en noir et blanc qui présente une mise en scène de leurs corps. Sur un fond noir, Pascal Lièvre tient une arme dans sa bouche, tandis qu’Alain Declercq lui bouche les oreilles de ses doigts. L’image est une réactivation d’une photographie d’Helmut Newton, Jo Champ, Chelsea Hôtel (1988), où, assise sur le lit d’une chambre d’hôtel, une femme en nuisette tient un révolver dans sa bouche. Elle est seule, les coudes posés sur ses cuisses, les yeux plongés dans le vide. Si la tentative de suicide traverse notre compréhension de l’image, Helmut Newton accentue davantage le côté sexy trash de Jo Champa (actrice américaine). L’image est à la fois dramatique, séduisante et sexiste. En réponse à Newton, Alain Declercq et Pascal Lièvre proposent une relecture masculine de sa photographie. Avec la volonté de conserver, voire d’accentuer la dimension dramatique, les deux artistes y ont ajouté une dose d’humour qui participe à une totale réinscription de l’image originale. De plus, [Shut] Suicide établit un écho supplémentaire avec le travail photographique d’Édouard Levé. Ce dernier, par la mise en scène et la chorégraphie des corps, a mis au point une photographie singulière, sobre et apathique. Sur un fond monochrome, les modèles, anonymes et vêtus de manière bureaucratique, activent des positions sexuelles dénuées de toute émotion et séduction. Les images traduisent une excitation éteinte, une neutralité déshumanisée qu’Alain Declercq et Pascal Lièvre parviennent à restituer. [Shut] Suicide multiplie ainsi les mises en abyme au sein desquelles les références et les interprétations s’y percutent silencieusement.
Julie Crenn
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LP Weapon est porté par Nicolas Gimbert, artiste plasticien, en collaboration avec l’équipe de l’association Freevol qui aide la création et la diffusion de projets artistiques dans le champ de l’art contemporain et de la musique électronique. Le projet LP Weapon prend pour thématique « les armes sonores, fantasmes et réalités ». Il se base entre autres sur les recherches de l’Anglais Steve Goodman (KODE9) (Sonic Warfare: Sound, Affect, and the Ecology of Fear Technologies of Lived Abstraction Series, MIT Press, 2012) et de la française Juliette Vocler (Le son comme arme. Les usages policiers et militaires du son, éditions La Découverte, 2011).
Le projet LP Weapon est un appel à projet collectif réunissant artistes plasticiens et sonores, ainsi que des théoriciens appelant à un regard critique sur « ces armes » utilisées du Moyen-Âge à nos jours. Diviser, faire régner la terreur sur une population, les armes sonores furent de tout temps utilisées, de Guantánamo aux Mosquito Devices (permettent d’empêcher les réunions de jeunes dans les halls d‘immeubles à Londres par la diffusion de sons stridents perçus uniquement par les moins de 35 ans).
Les artistes s’emparent de ce thème pour proposer une lecture fictionnelle permettant de re-poétiser un sujet de prime abord dramatique. Dans un contexte géopolitique et artistique contemporain compliqué et troublé, les théoriciens livrent une expertise éclairante à travers un regard personnel et critique, mettant le sujet en perspective. Au final, dix artistes ont créé dix visuels, dix théoriciens ont écrit dix textes, et une vingtaine de pistes sonores ont été composées.
Avec les œuvres sonores de : Hanan Benammar & Per Platou, Davide Bertocchi, Laurent Di Biase et Benjamin Pagier, Julia Drouhin, Emmanuelle Gibello, Jérôme Grivel, Michel Guillet, Humans by Billions, Cetusss, Rainier Lericolais, Mujuice (Roman Litvinov), Julien Perez, Valéry Poulet, Cédric Pigot & Magali Daniaux, Mathieu Schmitt, Michael Sellam, Dominique Sirois, Thierry Théolier, Geoffrey Veyrines, Frank Vigroux.
Avec les œuvres visuelles de : Marie Aerts, Régine Cirotteau, Alain Declercq & Pascal Lièvre, Richard Fauguet, Rohan Graeffly, David Guez, Nicolas Muller, Charles Pennequin, Tom de Pékin, Jean Luc Verna.
Avec les textes de : Manuela de Barros, Pierre Boeswillwald, Philippe Boisnard, Julie Crenn, Michel Gaillot, Florian Gaité et Jérémie Nicolas, Catherine Guesde, Jean-Claude Moineau, Stephen Sarrazin, Vincent Simon.
Partenaires du projet : Le Cube, Freevol, Supernova Editions, Plateforme, WebSYNradio, Les Esserres.
+++ NICOLAS GIMBERT – LP Weapon
++++ LE CUBE