Le passé du Noir, ce passé de corde, de feu ; de torture, de castration, d’infanticide, de viol ; de mort et d’humiliation ; de peur, jour et nuit ; de peur qui le pénètre jusqu’à la moelle des os ; de doute qu’il soit digne de vivre puisque tous ceux qui l’entourent affirment le contraire […] ce passé, ce combat sans fin pour acquérir, révéler, confirmer une identité d’homme, une autorité d’homme, a en lui, pourtant, au milieu de tant d’horreur, quelque chose de très beau.
James Baldwin – La Prochaine fois, le feu (1963).
Hassan Musa a commencé à peindre des œuvres grands formats en 1975 alors qu’il travaillait pour une chaîne de télévision soudanaise. En France, dès 1980, il collabore avec une une compagnie de danse et de théâtre. Depuis, les notions de décor et de scène ne l’ont jamais quitté. À l’image d’un théâtre, il regarde avec attention le monde, son histoire et son actualité qui, dans ses peintures sur tissus, se télescopent avec humour, poésie et ironie. Tout commence par un motif imprimé sur tissu, un fruit, un animal, une moto, une fleur. Le motif engendre une réaction, une scène le plus souvent constituée d’une figure centrale. De manière récurrente, Hassan Musa fait intervenir des personnages : Oussama ben Laden, Joséphine Baker, Barack Obama ou encore lui-même. Ils sont chacun mis en relation avec des motifs imprimés et/ou peints, des signes qui engagent un trouble, un écart critique. Les signes font appel à une mémoire et une imagerie collectives qui entremêlent des stéréotypes, des références à l’actualité, aux mythologies, à l’art et aux religions. L’artiste convoque ainsi différentes formes d’idéologies sur lesquelles reposent les cultures. Il associe volontiers les signes occidentaux avec les signes orientaux pour dénoncer avec opiniâtreté le danger de l’universalisme et par incidence de l’impérialisme occidental.
François Jullien pose la question : « Comment traduit-on l’ ʺuniverselʺ, quand on sort de l’Europe ? De là aussi que cette exigence de l’universel, elle que nous avions confortablement rangée dans le credo de nos assurances, au principe de nos évidences, redevienne enfin saillante, qu’elle sorte à nos yeux de sa banalité ; qu’elle en apparaisse inventive, audacieuse et même aventureuse. »1 Hassan Musa se refuse à l’uniforme qui met en péril la différence et celui qui est communément nommé « l’autre ». En ce sens, les peintures sur tissus mettent en scène une remise en question des évidences en procédant d’un syncrétisme des mythes : les héros et héroïnes antiques, bibliques, artistiques, médiatiques. Qu’est-ce qu’un.e héro.ine ? Qui en construit la représentation ? Pour qui et pourquoi ? L’artiste confronte les héros et les antihéros pour mettre à mal un regard manichéen et lissant posé par l’Occident. À l’universalisme, il choisit la notion de commun, « ce qui se partage ».2 Le commun ne réduit pas la culture à un seul uniforme, bien au contraire il forme un espace où les différences cohabitent, se rencontrent et interagissent. Hassan Musa rend visible le commun par la couture, la réunion des différents, mais aussi par le dialogue physique et pictural de ce qui est habituellement mis en opposition.
1 JULLIEN, François. Il n’y a pas d’identité culturelle. Paris : L’Herne, 2016, p.10
2 JULLIEN, François, p.12
English version /
This past, the Negro’s past, of rope, fire, torture, castration, infanticide, rape; death and humiliation; fear by day and night, fear as deep as the marrow of the bone; doubt that he was worthy of life, since everyone around him denied it […] this past, this endless struggle to achieve and reveal and confirm a human identity, human authority, yet contains, for all its horror, something very beautiful.
James Baldwin – The Fire Next Time (1963).
Hassan Musa began painting whilst working for a theatre company. Since then, notions of scenery and stage have never left him. Like in a theatre, he looks attentively at the world, its history and its news, which, in his paintings on fabrics, he fuses with humour, poetry and irony. Everything starts with a pattern printed on cloth; a fruit, an animal, a motorcycle, a flower… The motif generates a reaction, a scene most often consisting of a central figure. Hassan Musa has repeatedly introduced known characters: Osama bin Laden, Josephine Baker, George W. Bush or even himself. They are each connected to printed or painted patterns, signs that initiate a disturbance, a critical gap. The signs call for a collective memory and imagery that interweaves stereotypes, references to current events, mythologies, art and religions. In this way, the artist invokes different forms of ideologies on which cultures are based. He readily associates Western signs with Oriental signs in order to denounce with obstinacy the danger of universalism and therefore of Western imperialism.
François Jullien asks the question: « How do we translate the ‘universal’, when we leave Europe? And from that, that this requirement of the universal, which we had comfortably placed in the credo of our convictions, based on obvious facts, finally becomes salient, that it emerges in our eyes from its banality; that it appears inventive, audacious and even adventurous.”1 Hassan Musa refuses the uniformity that jeopardizes difference and that which we might collectively call « the Other ». In this sense, the paintings on fabrics stage a questioning of the obvious facts by proceeding with a syncretism of myths: heroes and heroines be they ancient, biblical, artistic, media… What is a hero(ine)? Who builds the representation? For whom and why? The artist confronts the heroes and the anti-heroes to undermine a Manichean and smoothing view established by the West. For universalism, he chooses the notion of common, « that which is shared »2. The common does not reduce culture to a single uniform, on the contrary it forms a space where differences coexist, meet and interact. Hassan Musa makes visible the common by sewing – the joining of the different – but also by the physical and pictorial dialogue of what is usually put in opposition.
Julie Crenn (Translated from the French)
1 JULLIEN, François. Il n’y a pas d’identité culturelle. Paris : L’Herne, 2016, p.10
2 JULLIEN, François, p.12
——————————————————————————————————————–
Exposition / Nage Icare – Hassan Musa
Vernissage le samedi 2 septembre 2017
++ HASSAN MUSA
très beau ! david ryan
Ping : Nage Icare – Exposition de Hassan Musa | CARNETS D'AFRIQUE ORIENTALE